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Entretien sur les travaux place Anatole France et l'installation d'hôtels Hilton (partie 1)

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 Le Pressoir: - Tu es donc universitaire, tu as réussi à t’introduire dans le projet de construction et de rénovation de la place Anatole France ; peux-tu nous retracer brièvement l’historique du projet ?

 

- Il faut bien différencier l’historique qui est mis en scène par le dispositif de communication des porteurs du projet de l’historique véritable. Le projet voit le jour à la moitié des années 2000 avec quelques élus et une femme travaillant dans l’administration, celle-ci s’occupant d’attirer les grandes entreprises et ayant déjà fait venir Ikea. Dans  toutes les agglos, il y a une toujours une personne chargée de cette tâche sensée apporter du rayonnement à la ville, en l’occurrence, quelqu’un avait un filon pour faire venir un gros hôtelier à Tours qui s’avère être Hilton. La première donnée est donc la volonté d’attirer un Hilton à Tours.

 

     Toutefois pour qu’il s’installe, il faut lui fournir un emplacement prestigieux qui apporte de la rentabilité, c’est vraiment ce qu’il s’est dit à ces premières réunions à quatre ou cinq autour d’une table et n’ayant rien d’officiel. Après réflexion, cette fameuse dame propose la place Anatole France, aux pieds du patrimoine mondial de l’Unesco qui vient d’être consacré, on doit être en 2007. A partir de là, ils font tourner le microcosme de la politique urbaine à Tours qui se compose d’un ou deux élus, du Maire, des responsables de la SET (Société d’Equipement de la Touraine) qui est l’aménageur, une société d’économie mixte détenue à 75% par la communauté d’agglomération et pour le reste par des fonds privés, l’ATU 37 (l’agence d’urbanisme de l’agglomération de Tours) qui, tout de suite (dès 2007-2008), commence à faire des petites maquettes alors que rien n’est officiel, que rien n’est lancé et que le plan de sauvegarde et de mise en valeur ne permet pas de faire ce que la maquette montre. L’agence d’urbanisme produit un bouquin qui retrace l’histoire du lieu, en deux tomes, qui sera ensuite réutilisé pour la communication du projet[1].

 

     A côté de ça, la Mairie a pour logique de rentabiliser l’espace au sol, une volonté qui n’est pas seulement propre à Tours mais qui serait rendue obligatoire par la loi, poussant à densifier dans les plans de planification urbaine, ce qui permet d’augmenter la rentabilité d’une surface au sol pour l’État local qui n’a plus beaucoup de dotations et qui doit déjà se faire financer par le privé. Il faut du commerce et pouvoir vendre un local commercial beaucoup plus cher que ce qu’on le vend à l’heure actuelle. Or, on constate qu’aujourd’hui il n’y a pas beaucoup de consommateurs qui vont tout en haut de la rue Nationale : ils font des études de flux (les seuls usages que ces gens connaissent étant les flux de consommateurs) et catégorisent. Il y a des zones 1, des zones 1bis, des zones 2, … qui donnent une fourchette des loyers pour les locaux commerciaux. Au-delà du 1 il y a une zone premium qui, à Tours, correspond à la rue Nationale à hauteur de la Fnac ; au nord des Halles on descend d’un cran et au nord de Commerce-Colbert on n’est même plus catégorisé. Leur but est donc de faire passer le haut de la rue Nationale en zone 1 et tout ça dans une logique de retour vers la Loire, de reconquête du fleuve, etc…

 

     On va mettre des hôtels, pour que ceux-ci viennent il faut que l’on ait mis des commerces ; la venue des commerçants va être facilitée par la rénovation du lieu et l’installation prochaine de l’hôtel donc tout ça s’entretient, le tout fait dans de très beaux matériaux, enfin c’est comme ça que ça nous est vendu. Puis, on refait les espaces publics et en tout dernier lieu, vient l’idée du centre d’art contemporain, arrivée sur la fin pour en rajouter une couche sur ce qui va faire venir les gens sur le haut de la rue Nationale et faire tourner les commerces.

 

 - On voit vraiment que la culture passe après l’impératif commercial…

 

     - L’objectif numéro un c’est la revalorisation du foncier. Faire monter les prix, c’est faire monter le niveau de gamme sociale de la population, faire monter ce niveau c’est, a priori, faire monter les consommations. Tout ça c’est l’idéologie d’attractivité. Il y a deux niveaux d’attractivité : l’attractivité extérieure : que Tours soit rayonnante. En cela, le programme de S. Babary ne diffère pas de celui de Jean Germain (notons que ce projet est né sous le mandat du précédent maire)… Des deux côtés, le politique se met au service de l’économie libérale. Ces gens-là y croient car ils sont entourés par des lobbys économiques. On a toujours l’image du lobby dans les antichambres des assemblées, mais ici, ils suivent le modèle associatif, ou celui de la société publique locale, tout un tas de structures, qui réunissent, en ce qui concerne le secteur touristique, les autocaristes, les gérants du Vinci, l’association des hôteliers, des châteaux, de l’office du tourisme, … Ils poussent tous ensemble dans leur intérêt commun et parlent à l’oreille du politique qui les a choisis pour être audibles. L’attractivité intérieure consiste quant à elle à attirer les tourangeaux vers le haut de la rue Nationale. Il y a aussi un regard posé sur la Loire puisque l’on vend des hôtels avec les pieds dans l’eau offrant une vue sur celle-ci.

 

 - Parlons du bord de Loire et de l’histoire du lieu, peux-tu nous en retracer l’histoire ?

 

     - Avant tout, je tiens à préciser que je ne suis pas historien, et je pense qu’il faut se méfier des histoires que l’on tient trop facilement pour acquises quand on raconte sa ville. L’histoire tient souvent de la mise en scène : il faut toujours se demander par qui elle a été écrite et pour dire quoi. Dans les grandes lignes, Tours s’est développé sur deux centres : le centre antique du côté Saint-Gatien et le centre Châteauneuf qui s’est construit autour de la basilique Saint Martin. Ce second centre s’est développé autour du commerce. Tours était une ville libre d’accès, avec le premier pont sans péage. (Ndlr : En témoigne l’immigration italienne au  XVIème siècle, François 1er et sa cour ont fait venir tas d’artisans italiens de façon à développer l’artisanat tourangeau. On y fabriquait les meilleures armures du royaume, l’on avait également une manufacture de soie et un art de la verrerie reconnu, la Loire jouant son rôle dans la bonne tenue de cette dernière activité). La place Anatole France, avant de devenir telle qu’on la connait aujourd’hui à 7 ou 8 mètres au-dessus du niveau de la  Loire, était alors une plage, qui descendait en pente douce vers le fleuve. Historiquement, la Loire à cet endroit-là et à son état naturel faisait 800 mètres de large, aujourd’hui elle n’en fait plus que 400. Le remblai qui surplombe la rue Nationale a été fait au XVIIIème siècle quand a été tracée la route d’Espagne, qu’on a percé la Tranchée, fait le pont Wilson ; on a tout remis à plat jusqu’à user de l’armée pour pelleter le sable d’une île et remblayer la place Anatole France qui s’appelait alors la place des Arts.

 

     Cette place a fait la réputation de Tours, de par son architecture très marquante, symétrique avec des espaces ouverts ; la ville ne manque pas de citer les écrivains qui ont pu écrire là-dessus. C’était un endroit où l’on avait les fêtes populaires, mais étaient-ce les fêtes des classes populaires ? Je n’en suis pas sûr quand je vois les photos du XIXème avec tous ces mecs en costard et haut de forme… C’est aussi là que s’est fait le congrès de Tours[2]. Il y a également cette histoire de l’Arc de Triomphe édifié pour Louis XIV (ressortie par l’historien de la mairie), certains historiens régionaux contestent la véracité de cet emplacement pour la simple et bonne raison que la seule voie d’accès à la ville par le Nord était le pont d’Eudes II de Blois (dont on peut voir les vestiges depuis le pont de fil) et pas le pont Wilson qui n’existait pas encore… Une autre hypothèse est de dire que cet arc de triomphe a été mis-là pour obliger le Roi, qui devait donc faire un grand détour par le vieux pont pour entrer dans la ville (un pont déjà vieux de 600 ans à l’époque, rafistolé d’années en années), à honorer la volonté de la ville d’obtenir un nouveau pont, ce qui se dit aujourd’hui est que cet arc est celui que l’on a à l’entrée du musée des beaux-arts. Mais encore une fois, ce ne sont que des morceaux d’histoire mis en lumière par les édiles qui racontent leur ville, plutôt en se focalisant sur le plan urbain et l’architecture. Ce qui serait intéressant, c’est en faire l’histoire sociale : qui vivait là, que faisaient les gens (tourangeaux et gens d’ailleurs) en ces différents lieux, comment vivaient les bords de Loire ? … La majeure partie de ces questions reste sans réponse, en l’absence d’études sérieuses.

 

 - Sur la place des Arts, il y avait par ailleurs deux bâtiments majeurs.

 

     - Aujourd’hui la monumentalité de cette place réside à mon sens dans les espaces publics et dans le vide aussi, il y a une monumentalité par le vide. A la fin du XVIIIème siècle, à l’entrée de la rue Royale il y avait deux grands bâtiments, qui étaient l’Hôtel de Ville et la bibliothèque municipale. En terme symbolique, puisque l’architecture est symbolique, ils représentaient le pouvoir politique et le pouvoir culturel. Un siècle plus tard, Victor Laloux a construit l’actuel Hôtel de Ville sur la place du Palais, le musée des Beaux-Arts a alors migré dans le bâtiment précédemment utilisé comme Hôtel de ville. On avait donc les symboles du pouvoir politique et du pouvoir culturel, de la puissance publique en somme. Aujourd’hui, les porteurs du projet, qui se positionnent sur une dimension purement esthétique, cherchent à justifier le fait de faire dans la densité en sacralisant dans le discours cette « monumentalité » du XVIIIème (détruite pendant la guerre). Le style de la reconstruction d’après-guerre, sur lequel on reviendra, se caractérise par une architecture très basse, très aérée, avec des espaces publics sur les toits des commerces ce qui est assez original et montre un choix fort. A l’inverse, les porteurs du projet s’évertuent à faire passer l’architecture de la place Anatole France pour complètement désuète et prétendent renouer avec le passé prestigieux du lieu en construisant deux gros bâtiments à l’entrée de la ville. Ils sont sur une simple opposition entre la grandeur et la petitesse, le pas-fini et le monumental, mais ils ne vont pas au bout de la réflexion qui est de dire que le monumental c’est du symbolique et donc que ces deux gros bâtiments que l’on a à l’entrée de ville, qui, avant, représentaient le pouvoir politique et le pouvoir culturel, demain ce seront deux gros hôtels Hilton trois et quatre étoiles, qui représentent le pouvoir du capital économique.

 

 - C’est très juste, c’est le remplacement symbolique de l’État par l’économie globalisée.

 

    - A priori, la municipalité en place a pour ambition de faire retourner la place vers son histoire d’usages « populaires ». La grande roue est là de plus en plus souvent, l’année dernière il y a eu une patinoire qui devrait doubler de superficie au prochain Noël, il y a le concert Vibration place Anatole France, ils songent aussi à déplacer le marché de Noël à cet endroit-là... Même si ça renoue avec les usages passés, cela n’empêche pas d’exercer un regard critique, en questionnant l’adjectif « populaire » et en se demandant ce qu’on prohibe quant on encourage certains usages.

 

 - L’installation de ces hôtels « prestigieux » ne risque-t-elle pas de favoriser un changement de fréquentation, de passer d’une clientèle estudiantine à cause de l’emplacement des Tanneurs à une clientèle de touristes fortunés, qui dénaturerait le lieu ?

 

     - Aujourd’hui on a encore quelques commerçants tourangeaux sur le haut de la rue Nationale, ce sont les derniers, demain ils ne pourront plus être là car les loyers auront été multipliés par quatre ou cinq. Grosso modo, on sera sur des commerces complètement uniformisés. Mais ce ne seront pas obligatoirement des commerces de luxe. La rue Nationale, la rue de Bordeaux, se sont déjà la rue Sainte Catherine de Bordeaux, la même rue commerçante que l’on retrouve dans toutes les villes. Quant aux Hilton, on a bien sûr là aussi affaire à un produit standardisé. Donc même si l’on emprunte la vision de la municipalité orientée vers le tourisme, on peut se dire que ce qui marche dans une ville c’est ce qui lui est propre, son identité traditionnelle. En uniformisant tout ça, n’est-ce pas se tirer une balle dans le pied ?

 

 - La revalorisation de Saint-Martin, à l’occasion du 1700ème anniversaire, passagère certes, ne peut-elle pas être interprétée comme une volonté de contrebalancer cette perte d’identité ?

 

     - Ils sont capables d’uniformiser la ville comme de te sortir la confrérie du nougat. Peut-être que ça favorise le tourisme mais les agences de voyage, américaines ou pas, n’attendent qu’une chose : qu’un Hilton ouvre dans une ville pour y envoyer leurs touristes. Je pense que le marché international du tourisme tel qu’il fonctionne, c’est-à-dire le tourisme des châteaux ou le tourisme d’affaires, veut un peu d’uniformité pour être sûr de là où ils envoient leurs clients et peut-être à côté de ça des trucs à faire, des châteaux à visiter, des bords de Loire pour boire à la guinguette et puis un vieux-Tours pour voir les bâtiments de l’époque où l’on recevait les rois de France et la basilique Saint Martin pour voir les vieux lieux de pèlerinage. Peut-être que ça fonctionne comme ça. Mais à côté de ça, le lieu prend le risque de voir une clientèle locale remplacée par une clientèle extérieure, et puis ce ne seront plus les mêmes usages. 

 

     On s’entend très vite à dire que la place Anatole France est un endroit un peu mort, c’est d’abord un lieu de passage, un pôle d’échange : circulation du tram (c’est d’ailleurs l’arrêt de tram le plus usité de toute la ligne), circulation des bus et des voitures dans l’autre axe, circulation des piétons descendant la rue Nationale ou allant vers les  Tanneurs. Mais à côté de ça, il y a deux îlots sur les deux côtés de la rue, l’îlot Prosper Mérimée avec le grand parking et le petit espace vert à l’est, et l’ilot François 1er avec l’ancienne école des beaux-arts à l’ouest. En bordure de la rue Nationale, délimitant ces îlots, il y a les fameux toits-terrasses abritant les commerces expropriés, toits sur lesquels on pouvait monter avant. Ils sont percés de quelques porches, des endroits à la fois localisés d’une façon centrale et à la fois en retrait. J’ai remarqué que ce sont des lieux très prisés des adolescents. Je pense en fait que c’est le lieu où ils viennent faire leurs premiers pas en ville. Parmi ces ados de 15 ans tu peux distinguer deux types : ceux qui vont boire un coup à l’Adresse ou au Helder et ceux qui ne vont pas y boire un coup parce qu’ils ont quinze ans et qu’ils n’ont pas de sous. Ces derniers vont sous le porche, sur les escaliers, sur les toits-terrasse. Derrière l’ilot, tu en vois une quinzaine, autour de trois mecs en scooter, ils discutent, fument leurs clopes, dessinent parfois sur les murs… Bref ils font leurs vies d’ados. En faisant ça, ils font peut-être des trucs interdits ou pas dans la norme, peut-être qu’ils vont fumer un pétard dans un coin, mais à côté de ça ils ne sont pas loin du centre-ville, ils sont proches de ce que qu’on peut appeler une autorégulation, c’est-à-dire qu’en étant proches du centre et parmi la population, ils vont apprendre à se comporter en ville, apprendre à côtoyer autrui, tout en étant en sécurité parmi les siens. C’est une hypothèse que je fais : on apprend à être en ville ; alors bien-sûr il y en a qui y ont été emmenés par leurs parents et habitués à « bien » se comporter, mais il y en a d’autres qui doivent d’abord faire leurs conneries, même parmi ceux qui ont été bien éduqués, pour parfaire cet apprentissage et apprendre à vivre-ensemble. Ils ont besoin de lieux à la fois centraux et un peu en retrait pour apprendre à le faire. Mais cela va changer car quand tu fais une ville pour le commerce, tu en fais un lieu où il n’y a aucun endroit à l’abri, aucun endroit caché. C’est une des grandes dimensions de l’urbanisme actuel, un urbanisme un peu sécuritaire…

 

 

[La suite ici http://pressoirtourangeau.wix.com/le-pressoir#!travaux-place-anatole-france--2-/ivao0   ]

 

 

[1] http://www.atu37.org/Download/pdf/Haut_rue_NationaleT1.pdf 

     http://www.atu37.org/Download/pdf/Haut_rue_NationaleT2.pdf

 

[2] En 1920, la SFIO connait une scission en son sein, la tendance forte du Parti, emmenée par Marcel Cachin, L-O Frossard et C. Rappoport, créera la SFIC (futur Parti Communiste Français) ayant accepté les 21 points imposés par Lénine. La tendance minoritaire menée par Léon Blum se maintiendra dans la « vieille maison ».

 

 

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