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Débaptiser la rue Nationale en rue Balzac: l’effacement du symbole national et la victoire des petits Tartuffe.

     Avant de procéder à une interrogation philosophique sur le sens d’un changement de nom aussi conséquent que celui envisagé par M. Christophe Bouchet, adjoint au rayonnement et grands évènements de la ville, il convient de retracer brièvement l’histoire de la rue Nationale, fille d’un basculement de l’axe central de Tours.
 

Brève histoire de la rue Nationale, politique et symbolique.
 

     L’histoire de la rue Nationale, sur le plan architectural seul, est l’histoire d’un basculement, celui du renversement de l’axe Est/Ouest médiéval, hérité de la séparation médiévale entre la cité Châteauneuf Saint Martin  (Castrum Novum Saneti Martini) et la cité du vieux château avec le no-man’s land séparant les deux, puis réunies en 1356 sous l’influence de Jean Le Bon.

Existait auparavant la rue Traversaine, une rue mineure, ne prétendant aucunement remplacer le long axe reliant les deux anciens castrum : l’axe Commerces – Colbert. Louis XV, en 1765, décide de réaménager l’axe Est-Ouest en axe Nord-Sud, C’est en 1777 que la rue Royale est percée, soit deux ans après le sacre de Louis XVI, ce dernier appliquant à merveille la loi fondamentale selon laquelle « le Roi ne meurt pas en France » et continuant en toute sérénité les projets de son royal paternel.

La rue Royale gardera ce titre jusqu’à la disparition totale d’un espoir de  rétablissement de la Monarchie, qui correspond à l’avènement en France de la IIIème République, et l’accession au pouvoir communal de François-Jules Charpentier entre février 1882 et mai 1884, connu pour son appartenance à la franc maçonnerie locale, son anticléricalisme et son titre de vice-président de la Ligue de l’enseignement ainsi que de la Ligue des patriotes.[1] Le choix de débaptiser la rue Royale en rue Nationale n’était donc pas anodin...
 

     La symbolique n’est pas un objet d’étude pour les farfelus amateurs de curiosités, c’est une clé de compréhension historico-politique. Sans la symbolique, le sens s’amenuise, et la fin du sens c’est la fin de l’histoire. Le symbole est issu étymologiquement du sumbolon grec, le symbole c’est ce qui joint, qui rassemble, mais surtout, qui explique (en cela, il est le contraire du diaballein, ce qui divise, et ayant produit le nom de « diable »). On ne peut donc réduire la recherche de symbole à une quelconque manie pour l’ésotérisme, mais l’on doit la comprendre comme une quête de sens. Attribuer un nom (du grec nomos, qui signifie part/portion) à une rue est donc en soi quelque chose de hautement symbolique. Si l’on nomme c’est pour distinguer, pour établir une démarcation claire entre ce qui est et ce qui n’est pas. Débaptiser la rue Royale en rue Nationale c’était affirmer l’existence de la Nation et pousser la monarchie dans les oubliettes de l’histoire. Agir ainsi, c’était affirmer la destinée politique de l’artère principale de Tours.
 

L’on souhaiterait maintenant effacer la Nation au profit d’un autre nom, celui d’un homme : Honoré de Balzac.

 

 

La problématique de l’effacement de la Nation.
 

      Le problème est de taille, il signifie abandonner le terme de Nation, pourtant riche de sens, de projets et sous-tendu par l’idée de continuité. C’est parce que l’on adhère à un projet enraciné que l’on projette de perpétuer celui-ci. Il convient donc de questionner l’assertion gaullienne, à savoir que « Le patriotisme, c'est aimer son pays. Le nationalisme, c'est détester celui des autres. ». Non, la Nation n’a pas à rougir d’être accaparée par ce que l’on désigne vulgairement comme l’Extrême-Droite, car la Nation est un méta-patriotisme, un au-delà du patriotisme, et certainement pas une haine d’autrui. La Nation est une destinée politique concernant un groupement d’hommes clairement affiliés, par le corps ou par le cœur à une patrie, et il serait faux d’affirmer que la politique porte en elle les germes de la haine car elle n’en porte pas le quart de la moitié du commencement: elle est la capacité extérieure[2] aux hommes de pouvoir gérer pacifiquement leur vie ensemble par la détermination de l’ami/ennemi[3].
 

Les patriotes bobos, ceux-là qui attendent que Paris soit violée, que la France soit meurtrie pour déclamer leur amour des croissants et du vin, entre deux séjours à New York, sont ce qui fait douter de la pérennité de l’amour que l’on porte à sa patrie ; le grain de sable qui vient faire dérailler la mécanique de l’attachement national. Un grain de sable toutefois lancé par les idéologues du déracinement, persuadés que l’homme n’est pas fait pour avoir des attaches aussi bien terrestres que sentimentales.
 

On voudrait donc débaptiser la rue Nationale en rue Balzac, et le « on » a aujourd’hui le mérite d’être clairement identifiable, il s’agit de Christophe Bouchet !

 

 

 

Le Presssoir a l'immense honneur de vous présenter Christophe Buchet, l'actuel directeur marketing de la ville de Tours.

Qui est M. Christophe Bouchet ? Un petit tour sur sa page Wikipedia[4] vous assurera de sa capacité à diriger un club de football marseillais bien connu, à écrire des livres-déchets, (ces livres qui disparaissent aussitôt publiés et refont surface quinze ans plus tard sur les étals des bouquinistes qui cherchent honteusement à les vendre voire à les offrir, mettant plus d’entrain à vouloir s’en débarrasser que ne le ferait un pouilleux des bêtes qui grouillent sur son crâne), à diriger une entreprise marketing, mais aucunement à gérer la symbolique d’une ville. Être un ami du maire c’est quand même très utile !

 

Le Pressoir dénonçait dernièrement la gestion entrepreneuriale des villes (cliquez ici pour lire), le désir, présent chez ceux qui ont en main les rênes du pouvoir local, de croître toujours plus et d'améliorer leur valeur économique, tout en dissimulant leurs objectifs derrière un vocable tout imprégné des senteurs acres de la prostitution publicitaire puisqu'en fin de compte, l'on ne souhaite rien d'autre que se vendre au plus offrant. Ainsi, l'on ne cherche pas à promouvoir la politisation à l'échelle locale, ni même à doter les tourangeaux d'outils radicalement nouveaux pour changer leur destin mais l'on va plutôt aspirer à  "produire du rayonnement", à "accueillir de nouveaux secteurs d'emplois", à "devenir un pôle de compétitivité mondialement renommé", etc, ...

 

 

 

 

 

Cet homme en est l’illustration parfaite, il est la quintessence de la médiocrité, le destin de tout peuple qui accepte le primat de l’économie sur la politique. C’est un Tartuffe, un notable qui rêve de se faire un nom au mépris d’un destin communal, un politicard ignorant tout de la politique (qui n’y voit que les gratifications en nature et en argent) et qui confondrait sans vergogne Machiavel avec un restaurateur italien.
 

Sa bêtise crasse, il en fit la preuve lorsqu’il crut bon de dire à la Nouvelle République que "la rue Nationale a été ainsi nommée parce que la RN 10 passait par là. Est-ce que ça a encore du sens aujourd’hui ?"[5].  Et cet homme est aujourd’hui « adjoint au Maire, chargé du rayonnement, du tourisme, des grands événements, des congrès, de la francophonie »; un énoncé de poste inversement proportionnel à l’intelligence du personnnage.
 

Le geste qu’il voudrait accomplir en hommage à ce génie incontesté de la littérature réaliste qu’est Balzac prend donc une autre tournure, celle d’un homme médiocre qui voudrait voir à tout prix son nom gravé dans le marbre de l’histoire et pas celle d’un humble qui voudrait honorer une figure tourangelle. Que dirait Honoré s’il savait que l’on projette d’utiliser son nom pour glorifier une bête avide, de la trempe de ceux qu’il se plaisait à tourner en ridicule[6], que l’on songe sérieusement à remplacer le symbole national par le nom d’une lignée imprégnée de l’imaginaire royaliste. A titre de suggestion, n’aurait-il pas été plus cohérent de profiter de la rénovation de la Bibliothèque centrale pour lui attribuer le nom du père de la Comédie Humaine.
 

Balzac ne mérite-t-il pas mieux que de servir de coup marketing à la ville qui l’a vu naître ? Il est certain que ce changement est historiquement malvenu, car la Rue Nationale ne changera de nom que lorsque le pouvoir changera de forme,  et en ce sens inacceptable puisque visant à perturber encore un peu plus l'imaginaire quotidien des tourangeaux. Ce projet de changement est en vérité un crachat adressé à l’œuvre balzacienne et à l’âme tourangelle, un de plus, mais un jour soyez-en sûrs, le fumier retournera à l'égout.

 

R.F

 

 

 

 

En Supplément, le Pressoir vous conseille la lecture de la conférence donnée par Ernest Renan à la Sorbonne en 1882, intitulée "Qu'est-ce qu'une Nation?", à lire en cliquant ici



[1] « L’Indre et Loire ; La Touraine des origines à nos jours », sous la direction de Claude Croubois, éditions J-M Bourdessoules ; p 290.

[2] Hannah Arendt – Qu’est-ce que la politique, Fragments I, Arendt affirme que la politique est l’espace entre les hommes et que l’homme n’est pas politique en soi, qu’il n’est pas un animal politique au sens où l’entendait Aristote.
 

[3] Carl Schmitt – La notion de politique. Schmitt dévoile le critère de base de la politique, la distinction entre l’ami et l’ennemi.
 

[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/Christophe_Bouchet

 

[5] http://www.lanouvellerepublique.fr/Indre-et-Loire/Actualite/Politique/n/Contenus/Articles/2016/01/15/Tours-la-rue-Nationale-rebaptisee-rue-Balzac-2593133

 

[6] http://www.site-magister.com/prepas/balzac.htm

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