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Prieuré de Saint-Cosme

Regard critique sur la rénovation

Nulle question ici de conter l’histoire de ce lieu mythique qu’est le Prieuré de Saint-Cosme sachant que les plumes les plus voluptueuses de la Touraine d’hier se sont attelées à cette tâche monumentale[1], cette idée restera néanmoins dans les tiroirs de la rédaction du Pressoir jusqu’à nouvel ordre. La rénovation récente du lieu, qui a également permis une intense campagne de fouille ayant mis au jour 450 sépultures dont celle du Prince des poètes et la découverte des fondations de la chapelle, s’est faite pour, ne nous en cachons pas, redonner une attractivité à un lieu qui peinait à attirer des visiteurs malgré la grandeur de son caractère.

 

L’accent mis sur la pédagogie s’avère salutaire et extrêmement efficace. Sous forme de grandes pages disséminées à travers l’ensemble du Prieuré, l’on apprend les détails de la vie du poète, de son œuvre et du lieu. Selon son plaisir, le visiteur peut entendre des versions chantées des poèmes de Ronsard ou assister à un petit film traçant les origines de la Pléiade dans la pénombre et la fraicheur de la maison du poète. Ce lieu offre un rare moment de volupté au centre d’une zone où tout va à cent à l’heure, un instant de paradis au milieu de l’enfer citadin. Toutefois, trois critiques majeures ressortent de cette rénovation, la première porte sur la rupture de l’harmonie, la seconde sur la valorisation du livre pauvre (qui l’est dans tous les sens du terme), la troisième sur la tabula rasa faite avec le passé tout en roses du lieu.

 

1ère critique : la rupture visuelle et symbolique de l’harmonie du lieu

 

On ne peut que souligner férocement la tentative ratée d’alliance entre l’art contemporain et la pureté originelle du Prieuré. Les vitraux de Zao Wou-ki placés dans le réfectoire sont avant tout des « œuvres » reproductibles à l’infini puisque fabriquées suivant la technique du verre décoré, ce qui tranche radicalement avec la « mortalité » d’un lieu comme le Prieuré.

Ne serait-il pas navrant de ne pouvoir sauver du Prieuré, si destruction inopinée il y avait, que les seules œuvres de Zao Wou-Ki. Il n’est nullement question de critiquer la façon de faire ni les vitraux en eux-mêmes (qui ont, pour certains, un cachet incontestable ; ce qui n’est pas le cas d’autres, tenant parfois plus du tag accompli sauvagement à la bombe de peinture noire que du dessin d’artiste) mais bien la rupture dans l’harmonie qui caractérise ce lieu depuis plusieurs siècles. Une harmonie qui trouvait sa pleine expression dans l’alliance du style Roman et du style Gothique, comme le montre cette photographie de déambulatoire Roman et des restes du transept Gothique (la différence de style s’observant au niveau des arcades, à gauche, le style Roman et à droit le style Gothique).

Cet argument de l’harmonie a été utilisé par les intervenants du café historique du 20 septembre dernier pour justifier l’installation des « vitraux » de Zao Wou-Ki en 2010, ils semblaient n'avoir saisi ni l’importance primordiale de la préservation de l’harmonie ni sa définition même; quelle est en effet le lien tangible entre une œuvre d’inspiration asiatique et un jardin empli de fleurs locales, de bâtiments empreints d’une rusticité toute française… Quelle tristesse de n’avoir pu refaire à l’identique les anciens vitraux … Dans leur imperturbable lancée, les architectes et rénovateurs se sont octroyés le droit d’intégrer des touches de « style zen » made in Ikea : des bacs rectangulaires d’un pour encercler le jardin du cloître, des lattes de bois alignées en forme de croix, pour illustrer la dimension de l’église gothique perdue sous l’action conjuguée des guerres et du temps, une croix d’ailleurs imparfaite puisqu’empiète sur sa tête la sépulture du Roi du lieu. Sans oublier l’intégration des vitraux précités, défiant ainsi les lois immuables de la cohérence que portait le lieu en son sein. Encore une fois, l’esthétique prime sur la force symbolique.

2ème critique : La glorification du livre-pauvre

 

Le livre-pauvre, exposé dans la bibliothèque des amis de Ronsard, entame une action se voulant de « l’insurrection poétique ». Face au buste du Prince des poètes, d’où sort une désolation palpable dans son immobilité infinie, 

s’étalent des feuilles pliées, mêlant « art » graphique et « poétique ». Pourtant, cet « art » est dénué de codes communs reliant les œuvres entre elles, un code nécessaire à l’émergence d’une classe artistique, pouvant critiquer et comparer les œuvres objectivement et ainsi permettre une évolution et non pas une stagnation de leur matière. Ainsi, le travail de l’enfant à la même valeur que celui du prétendu artiste, et cette démocratisation du fait ​​créatif aboutit "in fine" à la surélévation moderne de la médiocrité. L’abolition totale de la rime, l’abolition totale de la versification, l’abolition totale du rythme et plus encore, celle du sens, qui n’est certes pas neuve (le surréalisme d’un Breton n’y est pas étranger[2]),

     Est-ce ça la véritable insurrection ? La quête du beau ne peut-elle plus être collective mais bornée à la subjectivité ? Cette insurrection est nihiliste en ce sens qu’elle souhaite la destruction des codes anciens sans en proposer de nouveaux. Quelle insulte que de lancer cet appel au néant dans la demeure du Titan Ronsard,  accoucheur, avec ses frères de la Pléiade[3] et Rabelais, de la profondeur et de la beauté de notre langue nationale ; encore une fois, l’harmonie s’effondre dans les limbes de l’Art Contemporain.

3ème critique : La coupure regrettable avec le passé « rose » du Prieuré

 

L’architecte-paysagiste Bruno Marmiroli, s’est rendu coupable d’un sacrilège pour certains, d’une action sensée pour d’autres, à savoir la destruction du thème de la rose dans le jardin de Ronsard. Sa justification a le mérite d’être claire et consiste à rétablir la rose dans son aspect éphémère, afin de mettre en accord la réalité et l’œuvre même du Poète, riche de comparaisons entre l’écoulement du temps et la brève vie de cette fleur associée à la femme aimée.

« Las ! las ses beautez laissé cheoir !

Ô vrayment marastre Nature,

Puis qu'une telle fleur ne dure

Que du matin jusques au soir ! »

(in « Mignonne allons voir si la rose »)

 

« Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain :

Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie. »

-(in « Sonnets à Hélène »)

 

Toutefois, l’absence quasi-totale de la rose frappe l’œil attentif de l’explorateur poétique visitant le Jardin du Prieuré (plus de grande roseraie en pergola, mais l’on nous assure que viendront dans quelques années des lauriers magnifiques et des roses devant le logis du Prieur) ce n’est plus son état éphémère qui est représenté, mais seulement une mort que l’on nous vend comme temporaire. Il est indéniable que la nature a besoin de temps et que l’on devra, bien malgré nous, nous contenter plaisamment des multiples plantes aromatiques aux puissants noms latins : Helichrysum italicum ; Artemisia Canescens (Armoise) ; Santolina Chamaeapparissus ; Cineraria Maritimum, … ornant le jardin du cloître, ce tapis garni d’une herbe verte et grasse qui semble animé par l’allégresse chaque fois que le vent souffle son admiration à l’esprit du lieu. Quant aux fous de roses, l’exploration du village de Chédigny peut s’avérer un remède beaucoup plus profitable que le jardin de Ronsard, privé pour quelques temps de son atout le plus riche en sensualité et en senteurs, comme si l’on avait ôté à Marie ou à Cassandre leurs douces chevelures…
 

 

En définitive, cette rénovation du Prieuré de Saint Cosme sonne comme l’accession du lieu à l’esthétique moderne, tout en matériaux qui subiront bien vite les foudres du temps et malheureusement dénuée dans ses ajouts d’harmonie totale avec les édifices mis en valeur mais inévitable pour des impératifs commerciaux. Par chance, le génie du lieu demeure intact et l’on y apprend pléthore de choses tout en soignant nos rétines des agressions visuelles inhérentes à la vie de citadin. Les senteurs y sont légions, qu’il s’agisse de celles du vieux bois dans le logis de Ronsard ou de celles des plantes du jardin du cloitre, les bruits inopportuns du monde extérieur pourtant si proche ne se font pas entendre. Encore un peu et l’on croirait apercevoir le bon Ronsard se promenant à travers ce jardin, le luth dans une main et la plume dans l’autre, accompagné d’une ribambelle de Muses lui soufflant dans de sensuels murmures les vers à composer pour accéder à la gloire éternelle.

 

R.F

[1] On lira avec délectation l’« Adorable Touraine » de Roland Engerand, qui narre dans un style remarquable les vies de trois grands lettrés adoptés par la Touraine : Ronsard, Paul-Louis Courier et Anatole France.

 

[2] En revanche, je place le succès du haïku traduit (qui perd en sens en occultant la puissance de l’écriture japonaise, toute en symboles et en sens cachés que le français ne peut, à mon grand regret, que faiblement retranscrire) à part, telle une survivance ultime de la poésie comme philosophie contemplative du Soi et du monde qui nous entoure, accessible à nos cinq sens ou allant bien au-delà. Ici, nulle sous-culture mondialisée, le haïku est bien trop noble pour se laisser gangrener par les vices du Marché.

 

 

[3] Composé du vivant de Ronsard, de sept poètes parmi lesquels lui-même, Joachim du Bellay, Jacques Peletier du Mans (remplacé par Jean Dorat à sa mort), Antoine de Baïf, Rémy Belleau, Pontus de Tyard et Étienne Jodelle.

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