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Jean Germain ou les malheurs de l’abbé Birotteau,

 

Commmentaire du livre Enquête sur un suicide politique  d’''Arnaud Roy et Alain Dayan suivi de brèves considérations sur l’existence d’une classe politique.

     Au-delà d’un contenu informationnel riche, le livre  d’Arnaud Roy et d’Alain Dayan (ancien adjoint au Maire, présent dès la première campagne municipale de 1995) permet de se faire une idée précise du personnage que fut Jean Germain, dépeint comme habité par de profondes valeurs d’honneur et d’humanité, héritées conjointement de son éducation jésuite et d’une tradition familiale exemplaire ; d’un goût du secret qui n’est pas sans avoir de liens avec son appartenance maçonnique. Aucun doute, le travail journalistique est accompli même si de ce livre, l’on ne retiendra pas les pages mortelles ambitionnant de décrire la beauté de la Touraine et tenant plus de l’élégie en prose (funèbre donc) écrite à la hâte que du bel éloge.

 

     Pourtant, la tentation de l’hagiographie est prégnante et la libre parole offerte à l’ami du défunt Maire vient systématiquement, et même à l’excès, redorer le blason d’un roi qui était sur le déclin depuis qu’avait explosé l’affaire des « mariages chinois » et celle du cumul des mandats ; un déclin dont le point culminant aura été fatal : l’auto-administration en express d’un coup de fusil par voie encéphalique... Cette tendance d’Alain Dayan est cependant efficacement contrebalancée par les réponses d’Arnaud Roy qui fait montre d’un esprit d’objectivité inversement proportionnel à ses qualités de prosateur.

 

    Ce livre soulève en toile de fond une question majeure, celle du destin des hommes politiques dans une société où le traitement instantané de l’information facilite le lynchage des soi-disant serviteurs du bien public, une méthode puisant ses sources dans une croissante judiciarisation de l’activité politique, un phénomène que Jean Germain n’a eu de cesse pointer du doigt dans les derniers moments de sa vie, en criant à l’injustice face à la peine qui lui serait sans doute administrée par des juges politiquement engagés, ayant favorisé les fuites pour satisfaire l’appétit féroce des journalistes locaux et nationaux, ardents défenseurs de la liberté d’expression qui fait vendre. Pourtant, la défense Dayan sur le sujet a de quoi laisser pantois tant elle semble marquée par l’idéalisme.

 

    « Il n’existe pas de classe politique distincte des citoyens mais des hommes et des femmes qui, pour des raisons intimes et nobles, pour l’immense majorité, décident de s’investir dans l’action publique. On ne peut continuer à les stigmatiser, à plaquer sur eux une cible que notre société d’images, de raccourcis et de caricatures va chercher à atteindre. L’honneur, la noblesse de sentiments et la grandeur d’âme sont des qualificatifs que plus personne n’accole aux politiques. Et pourtant, c’est par là que l’on devrait commencer pour retisser ce lien de confiance entre les élus et les citoyens, lien indispensable à la bonne santé d’une démocratie » (Alain Dayan, p176)

 

     Il convient de s’interroger sur l’existence ou non d’une « classe politique » comme nous y invite Alain Dayan, une telle classe qui justifierait la systématisation de la mise à mort devant le grand public…

 

    « Faire » de la politique n’a pas chez tous les individus la même connotation, et les causes de l’engagement politique en démocratie de partis (ne soulevons pas la contradiction, contentons-nous de lire Simone Weil[1]) sont individuelles avant que d’être généralisées ou généralisables. Untel fera de la politique pour servir le bien commun conformément à des idéaux républicains, l’autre en fera pour défendre une cause qui lui est chère, l’autre en fera pour en tirer la renommée que les études ne lui ont pas apporté… L’absence de motivation commune réelle au départ rend en principe impensable l’établissement d’une « classe politique » bien définie.

 

   La classe nait quand elle prend conscience d’elle-même et des intérêts qu’elle doit défendre. Une chose permet de rassembler les professionnels de la politique dans une case : le profit matériel et immatériel qu’ils en tirent. De là le point commun qui les unit et qui participe à la formation d’une classe politique effective car économique, l’intérêt bien compris des politiciens étant bien entendu la conservation du pouvoir et des bénéfices qui lui sont liés. C’est du désir de préserver cet intérêt que nait une classe qui n’aspire qu’à durer dans le temps, l’historicité de la classe politique émane de sa cupidité.

 

   Quand Alain Dayan prétend qu’il n’existe rien de tel qu’une « classe politique », il oublie que c’est le fonctionnement et la perpétuation d’une classe qui la rend identifiable et non pas les justifications individuelles qui habitent chacun des éléments la composant. Les dépenses colossales des partis et leur système de financement est bien là pour prouver que la vénalité et le désir de croitre sans cesses sont le moteur de la politique de partis, une chose que même la présumée innocence du mort ne peut éteindre.

 

    Renier l’évidente existence d’une classe politique car Jean Germain aurait été habité par des valeurs profondes d’honneur revient à nier l’existence de la classe médiatique parce que Thierry Ardisson croit en la monarchie comme système de gouvernement. Ce sont des classes informelles à la résonnance bien réelle.

 

    Si le ciblage des membres de cette classe est systématique (la violence restant toutefois l’élément le plus problématique), c’est bien parce que leur devoir premier est le service du bien commun. Après tout, un élu de la Nation n’a théoriquement pour seul objet que de débarrasser les citoyens de cette lourde charge qu’est l’action politique pour les laisser vaquer à leurs occupations économiques (si l’on en croit les théories libérales fondatrices, notamment celle de Benjamin Constant[2]). De façon toute aussi théorique, l’action politique doit donc être exécutée de la façon la plus convenable possible mais dès lors que la variable des passions humaines rentre dans la dynamique libérale de la politique, par les voies de l’ambition, de la cupidité ou de la luxure, tout l’échafaudage théorique s’écroule, et une théorie qui ne résiste pas à la pratique c’est une théorie vouée à disparaitre.

 

Concevoir, comme le fait Alain Dayan que la bonne santé d’une démocratie se mesure à la confiance qu’il y a entre les élus et les électeurs fait montre d’une incapacité des cadors locaux et nationaux à concevoir la démocratie comme « pouvoir du peuple » et non pas comme uniquement « délégation ». La bonne santé d’une démocratie ne se mesure-t-elle pas au degré d’implication du peuple dans l’exercice de la politique plutôt que dans le lien qu’il tisse avec les maitres qu’il se choisit ?

 

En définitive, l’on peut toutefois accorder un mérite et une vérité à ce livre : il permet de mettre en avant le caractère balzacien de la vie de celui qui fut doyen de la faculté de Droit de Tours ; un comble pour cet adorateur de Balzac fut d’avoir été le naïf abbé Birotteau[3] sans s’en rendre compte, ce qui prouve que l’écoulement du temps n’ôte rien à la clairvoyance balzacienne... Accédant au prestige de la fonction d’abbé et aux délices d’un logement confortable, Birotteau s’apparente au feu Maire de Tours, briguant trois fois d’affilées ce précieux poste. Substituant, si l’on croit ses paroles les plaisirs matériels (nourritures) aux plaisirs de la chair, victime de la vénalité d’une femme (la logeuse mademoiselle Gamard dans l’histoire balzacienne/ Lise Han dans le cas présent) et des trahisons politiques (l’abbé Troubert représentant ici l’ensemble des ennemis politiques de Germain), et finalement persécuté par la justice et par l’opinion comme le fut le naïf abbé. Seule la fin diffère, l’abbé est voué à l’exil quand l’autre opte pour la mort volontaire avec néanmoins un ultime point commun : la solitude comme dernière amie.

 

 

R.F

 

 

 

[1] Simone Weil – Note sur la suppression générale des partis politiques, l’un des caractères du parti en tant qu’entité analysable est l’asservissement intellectuel de l’individu qui doit éteindre toute étincelle d’idée qui ne serait pas conforme à l’idéologie du parti sous peine d’être honni et banni.  LE LIRE EN CLIQUANT ICI...

 

 

[2] Lire d’urgence De la liberté des anciens comparée à celle des modernes, Constant y explique les justifcations du mécanisme représentatif dans les démocraties libérales. LE LIRE EN CLIQUANT ICI...

 

[3] Le curé de Tours – Honoré de Balzac (1832)

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