Rousseau en Touraine.

C’est entre le moment où naquirent les premières marques de son intéressement à la politique, soit au retour de son voyage en la République de Venise (1743-1744) et le moment de sa participation au concours lancé en 1749 par l’Académie de Dijon, portant sur le sujet « Le progrès des sciences et des arts a-t-il contribué à corrompre ou à épurer les mœurs ? », pour lequel il écrira Le Discours sur les sciences et les arts et obtiendra le premier prix, que le grand Rousseau a découvert la Touraine ; dans une période ponctuée de disettes, d’incertitudes amoureuses et d’échecs professionnels . Bien loin de faire l’éloge de la terre, cet extrait des Confessions, (publiées en 1770) fait celui des joies de la vie en société au cours d’un bref et revigorant séjour à Chenonceau, médaillon flottant du diadème de la Reine Touraine, celle qui lui plaisait « tant pour la douceur de son climat que celle de ses habitants » …
Ce dernier mauvais succès acheva de me décourager. J’abandonnai tout projet d’avancement et de gloire ; et, sans plus songer à des talents vrais ou vains qui me prospéraient si peu, je consacrai mon temps et mes soins à me procurer ma subsistance et celle de ma Thérèse, comme il plairait à ceux qui se chargeraient d’y pourvoir. Je m’attachai donc tout à fait à Mme Dupin et à M. de Francueil. Cela ne me jeta pas dans une grande opulence ; car, avec huit à neuf cents francs par an que j’eus les deux premières années, à peine avais-je de quoi fournir à mes premiers besoins, forcé de me loger à leur voisinage, en chambre garnie, dans un quartier assez cher, et payant un autre loyer à l’extrémité de Paris, tout au haut de la rue Saint-Jacques, où, quelque temps qu’il fît, j’allais souper presque tous les soirs. Je pris bientôt le train et même le goût de mes nouvelles occupations. Je m’attachai à la chimie. J’en fis plusieurs cours avec M. de Francueil chez M. Rouelle, et nous nous mîmes à barbouiller du papier tant bien que mal sur cette science dont nous possédions à peine les éléments. En 1747 nous allâmes passer l’automne en Touraine, au château de Chenonceaux, maison royale sur le Cher, bâtie par Henri second pour Diane de Poitiers, dont on y voit encore les chiffres, et maintenant possédée par M. Dupin, fermier général. On s’amusa beaucoup dans ce beau lieu ; on y faisait très bonne chère ; j’y devins gras comme un moine. On y fit beaucoup de musique. J’y composai plusieurs trios à chanter, pleins d’une assez forte harmonie, et dont je re-parlerai peut-être dans mon supplément, si jamais j’en fais un. On y joua la comédie. J’y en fis, en quinze jours, une en trois actes, intitulée L’Engagement téméraire, qu’on trouvera parmi mes papiers, et qui n’a d’autre mérite que beaucoup de gaieté. J’y composai d’autres petits ouvrages, entre autres une pièce en vers, intitulée L’Allée de Sylvie, du nom d’une allée du parc qui bordait le Cher, et tout cela se fit sans discontinuer mon travail sur la chimie, et celui que je faisais auprès de Mme Dupin.
(Livre VII)
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